Styx : Un aller sans retour
03 janvier 3304,
Cale sèche de la Horde
CHAPITRE 1
Le Capitaine Melvin Le-Chila avait du mal à sortir de sa tête le puissant regard du leader de la Horde qu’il avait quitté quelques heures plus tôt dans la matinée. Elle avait le don de pénétrer votre esprit pour sonder le moindre recoin de votre être à la recherche de vérités ou de failles qu’elle pouvait utiliser à son avantage. Ses yeux cybernétiques étaient aussi captivants qu’inquiétants, provoquant chez ceux qu’elle croisait un sentiment de respect et de peur. Elle était fascinante et ne pouvait pas laisser indifférent un homme, aussi résolument solitaire soit-il. Cette femme n’était plus tout à fait humaine, et pourtant elle dégageait ce que tout homme adulte avait quitté lorsqu’il était encore un enfant et recherchait jusqu’à sa mort. Ce sentiment de gêne, de crainte et de passion pouvait très certainement rentre fou si l’on y prenait pas garde. Alvinia avait la puissance d’une armée et la fragilité d’un insecte avant sa métamorphose. Finalement, le Capitaine de Corvette n’était pas mécontent de n’avoir croisé cette femme qu’une seule fois depuis qu’il suivait la Horde. Et ce qu’il s’apprêtait à faire ne laissait que peu de doutes sur le fait que ce serait sans doute la dernière.
Cet ancien gradé de la flotte fédérale avait rejoint la Horde depuis plusieurs mois. Il se gardait bien de donner la raison qui l’avait poussé à rendre ses galons et fuir les systèmes fédéraux pour une cause dans laquelle il se donnait comme peu le faisaient. Le-Chila parlait rarement, préférant œuvrer pour la Horde avec une dévotion qui forçait autant le respect que pouvait inquiéter. La Horde semblait être pour ce jeune Capitaine bien plus qu’une aventure ou une étape dans sa vie. Il avait tout d’un fanatique dévoué à une cause aussi nouvelle pour lui que nécessaire à sa survie. Au fil des mois il avait participé à cartographier de nombreux systèmes dans le cadre du projet Déméter. Mais les résultats obtenus ne satisfaisaient pas le jeune pilote perfectionniste. Il avait alors épluché toutes les cartes et rapports d’expéditions qu’il récupérait partout où il le pouvait. Rechercher cette planète spéciale, sans pour autant savoir précisément pourquoi, était devenu pour lui une obsession. Il y passait tout son temps, ses jours et ses nuits, au point de se faire une réputation au sein de la Horde. Puis, une idée aussi dangereuse qu’irrésistible avait fait son chemin au fil des recherches et innombrables heures de quart. Il en avait parlé autour de lui, on l’avait pour un fou. Son projet était suffisamment original et dangereux pour qu’il finisse par susciter l’intérêt de Alvinia de Messalina en personne. Elle avait donc tenu à l’entendre exposer les détails de son plan.
C’est ce qui l’avait conduit jusqu’à cette rencontre étrange avec Alvinia de Messalina, ce matin-là. Pendant de longues minutes, elle l’avait dévisagé puis, sans autre formalisme ni retenue, elle lui avait dévoilé ce qui se préparait en secret pour Déméter. Naturellement, comme tout Atlante, Melvin savait peu ou prou ce qu’était Déméter mais jamais il n’aurait imaginé un tel dessein. Jamais il n’aurait fait le lien entre la création de MediCorp et Déméter ni les raisons de toutes ces recherches ! Ce plan était aussi déconcertant que….délirant. Il adorait ! En révélant la totalité du projet Déméter au Capitaine, Alvinia avait attisé un feu déjà brûlant, le poussant au-delà des limites. Elle avait été la maïeuticienne, celle qui donnait un sens à la vie du jeune Capitaine ! Alvinia venait de sceller son destin, celui qu’il cherchait depuis tant d’années au travers toute la Galaxie. Il savait pourquoi il était là, et ce sentiment était aussi terrifiant qu’enivrant. Il ne reculerait pas, sa voie était tracée. Elle était d’accord et lui fournirait toute l’aide nécessaire pour atteindre son objectif.
-« Vous avez conscience que ce sera sans doute un voyage sans retour Capitaine ? » lui avait-elle demandé avec une voix étrangement douce.
Bien entendu qu’il le savait, mais quelle importance ? Le projet valait bien plus que sa vie et ce que venait de lui révéler Alvinia le confirmait bien plus qu’il ne l’avait espéré !
-« Tu m’écoutes ? »
Le mécanicien le regardait, aggacé. Il s’appelait Simon et ces deux hommes se connaissaient bien puisqu’ils partageaient les mêmes quartiers dans l’un des vaisseaux de la flotte nomade. Lorsqu’il avait exposé son plan au leader de la Horde, Melvin avait insisté pour que le mécanicien responsable de la préparation de la nacelle soit son voisin de chambrée. Qui de mieux que lui sût comment et quand dormait le Capitaine après tout ?
-« Pardon, je réfléchissais ». Dit-il, reprenant ses esprits.
Ils se trouvaient tous deux au pied du vieil Anaconda amarré en cale sèche pour le préparer en vue de sa dernière expédition. Devant eux se trouvait une grande boite noire pourvue d’une petite fenêtre sur le dessus. Clignotaient sur les côtés des dizaines de diodes et écrans dont la signification et utilité étaient totalement incompréhensibles pour un néophyte.
-« Bon, je reprends mec. La Messalina nous a expressément demandé de modifier ta nacelle pour en faire un truc de luxe ! Nous allons donc l’agrandir et mieux l’équiper pour une plus grande autonomie et meilleure résistance. Avec ce « truc » qu’on te prépare, tu pourrais en théorie tenir des dizaines d’années. Bon au réveil tu seras aussi utile et futé qu’une serpillière, mais ça, ça nous change pas des masses de ce que tu es déjà, non ? »
Le mécano essayait d’être drôle pour cacher son malaise, Melvin le percevait, mais il ne releva pas.
-« Ce qui m’importe » déclara-t-il, « C’est surtout de savoir si les données cartographiques envoyées depuis le vaisseau et la nacelle pourront parcourir une si grande distance. Je me fous un peu du reste. Si je trouve la pépite, je voudrais pas qu’on passe à côté parce que ton incompétence à tout fait rater. Tu me captes Simon ? »
Simon regarda son compagnon, peiné.
-« Je me planterais pas on récupérera tes foutues données, t’inquiètes. Mais on en a déjà parlé des centaines de fois, tête de nœud, y’a presque aucune chance que cette tellurique se trouve là-bas ! Il est encore temps de renoncer ».
-« Je pense que sur des centaines de systèmes il y en a peut-être un qui correspond. Et comme personne n’est jamais revenu, comment savoir. T’en dis quoi petit génie ? »
-« J’en dis que tu vas pas me manquer. Enfin si, qui sait on va me mettre comme voisin après ton départ ! A propos j’aurais bien mis tes pornos dans la capsule pour que tu te sentes moins seul, mais j’ai peur que tu n’en ai pas l’utilitépendant ton sommeil, j’ai donc tout gardé, t’es d’accord dit ? »
-« C’est bête, imagine si les Targo tombaient dessus, ça leur ferait peut-être du bien tu penses pas ?…..Bon, en fait t’as raison, gardes les….de toute façon avec ta gueule en dehors des pornos je vois mal qui voudrait de toi ! »
Le sourire aux lèvres ils levèrent les yeux vers la proue du vieil anaconda en préparation.
-« Il va falloir encore quelques semaines avant ton départ » annonça Simon. « Ce vaisseau était bon pour la casse ! Quelle idée t’as traversé l’esprit en choisissant cette épave pour ton voyage ? »
Melvin Le-Chila répondit sans quitter le vaisseau des yeux :
-« Son nom, Simon, je l’ai choisi pour son nom. Il est prédestiné ».
Les deux hommes regardèrent en silence le nom du vaisseau gravé sur l’antique coque.
____STYX____
A suivre.
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