La réscapée
09 septembre 3304,
Hôpital de Kalak,
Elle avait les traits tirés et la crispation des muscles de son visage ne trompait pas l’œil expert du médecin qui se tenait au bout du lit. Elle souffrait des blessures maintenant pansées, mais tentait de n’en laisser rien paraître. Se tenait à ses côtés un jeune homme, qui malgré les consignes médicales n’avait pas l’intention de quitter la chambre.
– « Une fois encore, je vous demande de laisser Madame de Messalina tranquille. Même si ses blessures sont légères, elle a besoin de repos », risqua-t-il dans une dernière tentative désespérée.
– « ELLE » va bien. « ELLE » vous remercie Docteur pour ce que vous avez fait et vous invite à fermer la porte en sortant ».
Visiblement, le leader de la Horde n’avait pas perdu son souffle. Résigné, le médecin quitta la salle et retourna veiller sur les autres membres d’équipages que MediCorp venait de récupérer.
Alvinia se tourna devant l’intendant en intérim. Elle ne s’encombra d’aucune formule de politesse, et posa sur l’homme un regard glacial.
– « Où est le Régisseur ? »
– « Il n’était pas à bord, Madame ».
– « Oh vraiment ? » Elle se releva autant que possible et cala un coussin dans son dos afin de faire face à son visiteur « Je ne crois pas me souvenir avoir laissé ma mémoire à bord du CORAX, mais vous semblez en douter ! Je sais, jeune homme, que le Régisseur n’était pas à bord. Je vous demande de me dire où il se trouve en ce moment. Il devrait être là, à votre place ».
Son humeur était massacrante depuis son réveil. Deux infirmières MediCorp pouvant en témoigner, tentaient en ce moment même de se calmer après le flot d’insultes qu’elles avaient reçu qau moment des soins d’Alvinia. Elle continua sans le laisser répondre.
– « Bien, voyons si vous servez à quelque chose. Dites-moi où nous en sommes ».
Si, au moins, il y avait eu de bonnes nouvelles….Il commença cependant par ce qui lui semblait le moins complexe.
– « La plupart des membres d’équipage du CORAX ont été sauvés. Douze nacelles ont été retrouvées par les sauveteurs MediCorp. Les autres…. »
– « Les autres ?…. »
Il se racla la gorge
– «Le reste a été récupéré par les pilotes Black Birds venus en renforts ».
En cet instant l’homme baissa la tête, soudainement intéressé par la couleur qu’avait le sol. Il préférait regarder ce vert immonde que la réaction dans les yeux du leader de la Horde…et le pire restait à venir.
– « Où sont mes hommes ? Où sont ceux que les Black Birds ont sauvés ? »
Il releva la tête avec un effort qui lui parut démesuré, comme si une force implacable lui appuyait sur la nuque.
– « Dans un de leurs hôpitaux si on en croit Vox…Madame ».
– « Je vais les tuer ! »
– « Madame, ils sont venus de leur plein gré, je suis certain que nous les … »
– « Vous êtes certain ? Un vermisseau comme vous a des certitudes ? Miracle de la nature ! Mais dites-moi, est-ce qu’un être pensant comme vous a eu la présence d’esprit de me faire un rapport complet sur ce qui s’est passé ? »
– « Bien sûr Madame. Voici » Il lui tendit un holopad contenant toutes les informations récupérées dans la boite noire du CORAX d’une main tremblante. « Comme vous pouvez le voir, le vol a duré 1h46 et vous avez effectué 37 sauts. Vos nacelles ont été larguées peu avant onze heures, puis le CORAX est entré dans l’orbite de Toroesing 1 et s’y est écrasé, là les commandeurs Azim-Hutt et Shiki ont retrouvé l’épave et la boite noire. Plusieurs nacelles ont été endommagées, ceci expliquant le décès de plusieurs membres d’équipage malgré l’aide apportée par les sauveteurs MediCorp. Nous avons aussi des informations sur le… »
Elle le toisa
– « Non seulement je n’ai pas perdu la mémoire, mais je sais encore lire. »
Le silence revint dans la chambre pendant qu’Alvinia lisait le rapport. Son humeur se calmait peu à peu, prenant conscience de ce qui était arrivé, de la chance que certains avaient eue, d’autres pas. Les longues minutes passèrent emportant avec elle la tempête de colère qui coulait dans les veines de la rescapée.
Elle releva la tête, le visage interrogateur et une flamme de perspicacité dans le regard.
– « Que ne m’avez-vous pas dit ? Si je compte le nombre de nacelles retrouvées et l’équipage enregistré par le capitaine Hayden, il y a une nacelle en trop. Comment est-ce que vous l’expliquez ? »
– « Nous n’en savons encore rien. Les Black Birds ont publié les noms dans Vox Veritas et font mention d’un membre inconnu. La liste des personnes actuellement à Munfayl se trouve juste en dessous, Madame »
Alvinia écarquilla les yeux à la lecture d’un nom
– « Thomas ! Thomas est retenu chez les Black Birds ? Avez-vous des nouvelles ? »
– « Non, Madame. Comme je viens de vous le dire, les Black Birds sont peu loquaces, mais peut-être ignorent-ils qu’il est votre garde du corps personnel, rien n’indiquait qu’un BAH’KKAR était à bord et qu’il… »
Elle sentit la colère revenir et tenta de se calmer, mais ne parvint pas à retenir les mots qui jaillirent comme un flot incontrôlable.
– « Êtes-vous réellement aussi stupide ? Comment les Black Birds pourraient ignorer une telle information ? Pour le bien de l’humanité, je vous souhaite que vous ne puissiez jamais vous reproduire, faute de quoi votre crétinisme pourrait se déverser au travers de l’univers ! «
Elle inspira
– « Donc, nous avons un passager clandestin sur le CORAX, des membres de mon équipages morts ou aux mains des Black Birds, mon garde du corps emprisonné à Munfayl et une épave d’un laboratoire sur la surface d’une planète à un seul saut de sa destination prévue. C’est un désastre. Tout cela est un désastre. Auriez-vous d’autres bonnes nouvelles à m’annoncer ? »
Il prit une longue inspiration, essayant de rassembler le peu de courage qui lui restait et fixa sa pensée sur la cuite qu’il allait prendre en sortant de cette chambre, histoire d’oublier cette affreuse soirée.
– « Et bien. Je dois aussi vous parler de PRISME….Madame… »
– « PRISME ? Et bien quoi, PRISME ? »
-« Il est actif….depuis hier…Madame »
Alvinia, malgré les interdictions du médecin et les instruments se leva du lit. Des alarmes se mirent à crier, elle les fit taire en débranchant tous les moniteurs qu’elle trouva. Sans un mot, et avec un calme inattendu, Alvinia s’approcha de la fenêtre et regarda un moment le cosmos qui défilait devant elle.
– « Ont-ils dit quelque chose ? » demanda-t-elle
– « Oui Madame, j’ai cette lettre à votre attention ».
Elle parcourt le texte dont les lettres bleutées scintillaient doucement dans la chambre silencieuse.
– « Laissez-moi maintenant. » Finit-elle par dire.
L’homme, heureux de pouvoir prendre congé se dirigea vers la porte en essayant de toutes ses forces de ne pas courir. Mais il stoppa net quand Alvinia lui adressa une dernière fois la parole.
– « Avant que vous ne partiez. Je voudrais savoir le nom du sauveteur qui m’a retrouvée.»
– « C’est le commandeur Hesefy, Madame ».
– « Bien. Bien. Faites-lui passer mes remerciements ainsi qu’à tous ceux qui se sont mobilisés depuis trois jours. Ces héros ont sauvé de nombreuses vies. Dites-leur s’il vous plaît…. ».
Il quitta la chambre, se forçant ne pas demander si les remerciements concernait également les pilotes Black Birds, de peur de déclencher un véritable ouragan d’insultes.
Alvinia resta seule dans la chambre, tenant la lettre entre ses doigts glacés. Ils avaient voté. Ils avaient activé PRISME. Ils allaient pouvoir engager les créatures qui avaient failli la tuer trois jours plus tôt. Le Gnosis avait été donc été un important signal. Elle repensa à la fuite du CORAX et ce qu’il s’était passé à bord. Elle pensa à ceux qui se trouvaient maintenant aux mains des Black Birds. Elle pensa à cette mystérieuse nacelle.
Mais avant tout elle pensa aux agents de PRISME. Elle aurait voulu être là, non pas pour douter de cette décision qu’elle respectait. Elle aurait voulu être là pour leur dire que devenir un Agent actif n’était pas synonyme de barbarie. Elle aurait voulu leur dire tout le respect qu’elle avait pour leur admirable neutralité. Ils avaient été l’un des seuls remparts qui refusaient de suivre l’exemple des chasseurs. Ils devaient continuer ainsi. Continuer à incarner la pondération et la retenue.
Ils avaient maintenant toute légitimité pour se battre puisque, depuis le Gnosis, le doute n’était plus possible. Elle avait vu de ses yeux les Thargoids attaquer un vaisseau de recherche rempli de scientifiques et d’explorateurs. Cependant Alvinia ne pouvait qu’espérer que leurs armes ne se dirigeraient que vers des cibles hostiles.
Mais elle ne leur dirait pas, car ils devraient faire face à leur propre reflet dans le miroir, au lendemain de leurs combats contre les Thargoids.
Son regard plongea dans le panorama d’étoiles scintillantes et prit le temps de repenser à la déroute du CORAX depuis son attaque sur le Gnosis. Cela ne faisait que trois jours qui lui paraissait être des siècles.
Tout avait, pourtant, si bien commencé ce matin-là…