Totem

[Totem] Chapitre 4 : Famine

Kaminska fulminait. Depuis qu’il était entré dans la pièce, elle n’arrivait pas à se calmer, ni même à le regarder dans les yeux sans avoir cette envie féroce de se jeter sur lui pour l’étriper à mains nues. Elle voulait le voir crier, le voir supplier, le voir pleurer en implorant son pardon. Pourtant Khrone restait là, planté devant elle sans se laisser impressionner. Après de longues minutes, elle finit par lui parler…. du moins croyait-elle être en mesure de le faire normalement quand elle s’entendit, surprise, hurler à pleins poumons.

-« Mais vous êtes complètement malade ! Qu’est-ce qui vous a pris espèce de vieux sénile psychopathe ? Vous avez déclenché une famine chez les medic, espèce de vieux con ! »

Il regarda la haine fuser comme un ouragan soufflant à faire plier les plus robustes des édifices. À la différence de la fille de Alvinia, Yumet Khrone avait la sagesse de l’âge et savait rester robuste comme la digue érigée face à la violence des tempêtes. Il laissa glisser sur lui les insultes et le fiel. Il s’en amusait presque. La voir sortir de ses gonds pour quelques vies sacrifiées était la preuve qu’il avait raison depuis le début. Il avait eu raison d’attendre et de travailler depuis tous ces longs mois à améliorer le projet. Le modelant comme de la glaise sous la dextérité experte de ses doigts afin de transformer le diamant brut en une pièce d’orfèvrerie. Le projet avait grandi. Il était devenu plus fort, tellement plus qu’il ne l’avait prévu. En cet instant, à écouter la colère de la fille De Messalina il comprenait que ce projet était l’œuvre de sa vie. Il avait cru que les Black Birds seraient la solution. Il l’avait cru comme personne, au point de renier toute morale. Mais il s’était trompé, les oiseaux noirs n’étaient qu’un miroir aux alouettes, un mirage, une mariée trop belle pour être vraie. Ils n’étaient que des sots qui jouaient aux durs. Ils n’avaient rien compris.

En cet instant, sa seule réelle crainte était que Kaminska ne fût pas digne de l’héritage de sa folle de mère. Mais il refusait de renoncer car, d’une certaine façon, cette jeune fille était aussi à sa manière une terre glaise qu’il lui fallait modeler à dessein.

Après de longues minutes, il consentit enfin à parler, d’une façon qu’il n’aurait jamais pu faire avec Alvinia.

-« C’est bon ? Vous avez fini jeune sotte ? ». Il la laissa accuser le coup puis enchaîna avant qu’elle ne recommençât à beugler. « Nous devions le tester, vous le savez. Et quoi de mieux qu’un test grandeur nature pour nous assurer qu’il a le potentiel que nous espérons ? Totem est… ».

Elle le coupa,

-« Mais vous avez déclenché une famine bordel ! Vous avez fait des milliers de victimes…. Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? »

Malgré tout, elle semblait se calmer un peu. Impossible de ne pas penser à sa mère. De bien des manières, Kaminska était elle aussi une enfant des tempêtes, forgée sur les falaises de Dalraida, sur le mont Messalina.

-« Je n’ai tué personne. Nous n’avons tué personne. Nous avons juste laissé notre projet faire le travail. Et les résultats dépassent nos espérances alors même qu’il n’est pas à la moitié de son potentiel. Regardez comment il a agi. De quelle manière il s’est infiltré. Comment il a surpris tout le monde, perturbé les lignes de ravitaillement, les sentinelles, contourné les seuils d’alertes, plongé tout le monde dans le brouillard. Personne ne l’a vu. Personne ne remontera jusqu’à lui ni même jusqu’à nous. Il est parfait, même s’il doit encore apprendre et grandir, il est déjà parfait. »

-« C’est un monstre Khrone. Vous m’avez impliquée dans la création d’un monstre d’une dangerosité inégalée….C’est de la folie ! ».

Yumet Khrone baissa la voix et regarda fixement la jeune fille.

-« Un monstre ? Mais qui est le monstre aujourd’hui ? Qui a envahi les systèmes et met en péril l’humanité ? Qui est la vraie menace à votre avis ? Totem est l’arme qui pourrait tout changer et vous le savez, tout au fond de vous. Bien plus efficace que ce que l’INRA ou Jameson ont pu faire par le passé pendant la première guerre. Totem les dépasse tous. Il est la seule issue dans ce conflit, et sa valeur est inestimable ; alors arrêtez de jouer aux saintes nitouches. Oui Totem a déclenché une famine dans les systèmes MediCorp. Et alors ? Comme pour tout le reste, ça passera. L’important est que ça a marché, et que cela prouve que nous pouvons continuer nos travaux. Que Totem soit ou non un monstre ne change rien. C’est une arme, seule la personne qui la manie est dangereuse. »

Elle ne se laissa pas embarquer dans cette voie.

-« Je persiste, Totem est un monstre. Je n’ai qu’un seul espoir que vous le teniez en laisse le temps que la riposte s’organise. Nous avons été trop loin avec lui, Yumet. Bien trop loin. Jamais nous n’aurions dû ouvrir la boîte de Pandore…. ».

-« ..Mais nous avons ouvert cette nacelle, petite demoiselle, nous l’avons fait tous les deux… Il est trop tard pour les regrets. Totem se réveille, et personne ne pourra entraver sa destinée. Pas même vos petites intrigues avec vos nouveaux amis mercenaires. »

Elle resta bouche bée, il ne lui laissa pas le temps de répondre. Il fallait en terminer avec cette discussion stérile.

-« Je vous l’ai déjà dit Cyrène. Vous n’avez aucune idée de notre puissance. Faites donc ce que vous voulez avec vos mercenaires pénitentiaires. Montez votre couverture comme vous l’entendez, cela ne nous regarde pas. Nous allons même tout faire pour que cette pseudo agence voie le jour. Mais je vous préviens, ne touchez pas à Totem. Envisagez une seule seconde de nous contrer et nous vous détruirons. Me suis-je bien fait comprendre ? ».

Il tourna les talons et sortit de la pièce avant que son interlocutrice puisse lui répondre. S’il y avait bien une chose qu’il avait apprise avec les De Messalina, c’est qu’il était impossible de les faire taire. Satané caractère ! Mais il avait besoin d’elle, et même son projet de « prison » allait se révéler utile si ce dernier voyait le jour. Après tout, elle était une pièce incontournable du projet. Totem avait besoin d’elle, tout autant qu’elle avait besoin de lui, bien qu’elle l’ignorait encore.

 



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