Crépuscule

Crépuscule – Chapitre 9

Je n’en peux plus.

Je ne veux plus de cette double vie que je mène depuis trop longtemps. Je ne supporte plus tous ces mystères, tous ces secrets trop lourds à porter, toutes ces trahisons.

Le temps des mensonges est terminé.

Je suis Ptoléméus.

Et je vais raconter mon histoire.

 

En hommage respectueux aux créateurs d’Elite : Dangerous, à la Wing Atlantis, aux Black Birds – et au cmdr Aymerix,  celui par qui les aventures arrivent.

 

 

Chapitre 9

La rencontre

 

Base de recherche Mahon, 9 avril 3303

 

Mary m’évita. Comme les adieux n’étaient pas mon fort, je ne cherchai pas non plus à la revoir. J’étais sûr qu’elle finirait par comprendre.

Je quittai la base le lendemain soir. Le général, enjoué comme à son habitude, vint seul me saluer alors que je procédais au check-list d’usage. Le lointain soleil bleuté était sur le point de se coucher lorsque l’Almageste, remis à neuf, prit son essor. Je survolai une dernière fois les cultures alien, lentement, presque au ras du sol. Dans le crépuscule, leurs silhouettes jetaient des ombres démesurées. Mon amie allait-elle découvrir leur secret ? J’en nourrissais le vif espoir.

Je tirai sur le manche et poussai le papillon des gaz. Aussitôt, dans un vrombissement d’insecte, les tuyères crachèrent une giclée brûlante. Derrière moi, la planète rapetissa à toute vitesse. L’énorme masse ronde creusée de cratères ne fut plus bientôt qu’une balle de golf brune. Une fois sorti du puits gravitationnel, je passai en distorsion, et j’enchaînai les sauts.

J’avais bien sûr rempli un faux plan de vol avant mon départ. Au lieu du retour prévu vers les mondes habités, je mis le cap vers le Formidine Rift. La « faille de la peur » était une zone lointaine et périlleuse, située au nord du deuxième quadrant, entre deux sections périphériques de notre galaxie spirale, le Bras extérieur et le Bras de Persée. Les navigateurs redoutaient de s’y rendre. Les étoiles y étaient rares, et les embûches innombrables. Il fallait établir d’ingénieux itinéraires pour rallier des systèmes si éloignés entre eux qu’ils devenaient quasi inaccessibles. Malheur à l’explorateur insouciant, piégé dans un marais de nébuleuses stellaires trop froides pour s’y ravitailler en carburant : il y resterait enlisé à jamais. Nulle aide à espérer au bord du chemin. A huit mille années-lumières de Sol, personne ne vous entendra crier.

 

La Faille de la peur… On la nommait ainsi pour d’autres raisons. Il se trouvait depuis quelque temps des voyageurs qui racontaient de curieuses histoires. Des expéditions mystérieuses, dont nul ne serait revenu. Des lumières étranges, surgies telles des fantômes, au cours des sauts en distorsion. Des équipages si terrifiés qu’ils auraient d’eux-mêmes quitté leur navire en plein tunnel hyperspatial… Sans doute des légendes de bonne femme pour effrayer les jeunes matelots. Mais au fond, qui pouvait savoir ?

 

 

Quelque part dans le Rift,
21 avril 3303,

J’avais posé mon Asp aux coordonnées exactes que m’avait transmises Munnin. J’étais au coeur du Rift, dans un système anonyme, que quelques répertoires astronomiques obscurs identifiaient seulement sous le numéro Eafots Eu-R C4-1.

Ce que je voyais devant moi était insensé.

Sur la deuxième lune de la troisième planète, par -34° de latitude et -77° de longitude, à des milliers d’années-lumière de toute implantation humaine, des hommes avaient installé une base. Ou plutôt, un modeste campement, adossé à une falaise vertigineuse. Des logements temporaires, plusieurs relais de communication accrochés à même le précipice, quelques caisses de vivres, un peu de matériel oublié, et c’était à peu près tout. Il n’y avait pas âme qui vive. Une fouille méticuleuse me permit de découvrir plusieurs points de données encore en fonctionnement. Ils contenaient des notes personnelles laissées par les employés qui avaient travaillé ici. Apparemment, ceux-ci avaient été chargés de larguer des sondes à travers tout le secteur. Ces malheureux étaient épouvantés, mais leurs messages n’indiquaient pas la cause ni la nature de leur frayeur. Ils avaient fini par déclencher une balise de détresse, puis… plus rien. Le souvenir des travailleurs embarqués dans cette folle  expédition était glaçant.

Je ne décelai aucune trace attestant le passage récent de vaisseaux, et rien ne laissait présager que d’autres voyageurs dussent atterrir prochainement. Mais je n’étais pas venu de si loin pour renoncer. Je décidai de patienter sur place, sans savoir si le navire d’Alvinia croiserait jamais dans les parages de cette base fantôme.

La base Alpha

 

 

 

Base Alpha, dans le Rift, 23 avril 3303

Je scrutai le ciel depuis plusieurs jours déjà, lorsque je devinai la traînée d’un réacteur. Puis une autre. Puis encore une autre. Bientôt, une puissante escadre, composée de vaisseaux de toutes tailles,  peupla les ténèbres du Rift. Munnin ne m’avait pas trompé : la Flotte nomade recrutée par l’ancienne dignitaire des Black Birds s’était bien donnée rendez-vous dans ce canton détourné de l’univers. Mais pourquoi ?

L’Orichalque et la Horde

 

J’entrai en contact radio avec un émissaire d’Alvinia. Il se paraît du titre de Régisseur de la Horde. Il m’interrogea longuement. Il me posa des questions précises sur les planètes à ammoniac que j’aurais pu rencontrer sur ma route.

Puis enfin, après une nouvelle attente, je reçus l’autorisation de monter à bord de l’Orichalque qui venait d’aterrir. Le navire amiral de la Wing Atlantis était un vaisseau de classe Anaconda, fleuron des industries DeLacey, imposant bâtiment de plus de cent cinquante mètres de long de la poupe à la proue. C’était le quartier général de la Horde ; plusieurs centaines de personnes vivaient en permanence à son bord, presque en autarcie complète. Des serres agricoles avaient même été aménagées à l’intérieur.

L’écoutille de soute s’ouvrit pour laisser mon buggy entrer dans la cale de l’appareil. Deux hommes d’équipage aux épaules carrées me prirent aussitôt en charge, et me conduisirent jusqu’au salon d’observation aménagé à la poupe du navire. Alvinia m’y attendait. Debout, le maintien altier, vêtue d’un tailleur gris à liseré rouge, elle me dominait de toute sa haute taille. Elle était née à Crevit voici plus de cinquante ans. Ses parents, des industriels affairés, lui avaient imposé une éducation rigide. Rebelle et mal-aimée, elle avait rompu de bonne heure avec sa famille, et avait avalé de la vache enragée pendant des années, avant de devenir la très redoutable porte-parole du Consilium. Au-delà de ses fonctions de représentation, elle était en fait l’âme de la dictature. Aucune décision de quelque importance n’était prise sans son aval. La menace alien était son obsession. Belle encore malgré ses cheveux déjà blancs, elle galvanisait les pilotes et leur inspirait toutes les prouesses pour la gloire de sa faction.

La fille avait du cran. Elle avait échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, et avait été sauvée de justesse après un long enlèvement qui lui avait coûté la vue. Elle portait désormais des implants cybernétiques à la place de ses yeux bleu-acier. On disait aussi que, depuis sa captivité, un poison incurable aux effets mystérieux coulait lentement dans ses veines ; mais c’était là un bruit étouffé qu’il valait mieux ne pas répandre.

C’était cette femme pour qui j’aurais aveuglément donné ma vie. C’était elle aussi qui m’avait détruit. C’est elle encore qui venait de déserter. Car cette grande dame hautaine venait d’abandonner toutes ses charges, et de renoncer au pouvoir absolu qu’elle avait si longtemps partagé avec le Fondateur des Black Birds.

 

Elle prit la parole.

– Le Régisseur m’a parlé de vous. Vous avez parcouru un bien long chemin pour trouver la Horde, Commander… Ptoléméus ? Pourquoi voulez-vous entrer à mon service ? Que savez-vous de la Flotte ? Comment nous avez-vous localisés ? Qui êtes-vous, pilote ?

– Demandez-moi plutôt qui je fus autrefois.

J’entendis sans la reconnaître la voix atone et blanche qui sortait de ma gorge.

Alvinia me toisa longuement. Ses yeux artificiels, qu’on disait dotés de propriétés étranges, émirent un clignotement fugitif. Ses paupières tremblèrent imperceptiblement. Je sus qu’elle m’avait identifié.

– Ne soyez pas surprise, Alvinia. Oui, je vous appelle par votre prénom. Nous nous sommes bien connus jadis. Souvenez-vous : j’étais alors Rapture LVIII. J’ai servi sous vos ordres. Avec quelle passion, avec quelle ferveur j’ai si souvent risqué ma vie au combat ! Combien de fois ai-je accepté sans hésiter de frôler la mort ! Et vous, Alvinia, vous avez flétri mon honneur. Vous m’avez sali et condamné. Vous m’auriez vu sans ciller mourir par votre main. J’ai dû tout quitter, changer de figure, renoncer à ce que j’étais, à ce que j’aimais. A ce en quoi je croyais. Vous m’avez détruit, Alvinia. Vous m’avez anéanti. Vous m’avez trahi.

– Oui, oui, Rapture, je me rappelle. Et je n’aurais pas cru que ce fût vous qui viendriez me reprocher une trahison. Et maintenant, ajouta-t-elle d’un ton sec où ne perçait pas la moindre émotion, que comptez-vous faire ? Avez-vous traversé la moitié de la galaxie pour tirer enfin votre vengeance ? J’ai peur que vous ne soyez arrivé un peu trop tard, siffla-t-elle entre ses dents. Mon destin est déjà scellé.

– Non, Madame. Je n’ai pas de sentiments si bas. Je ne suis revenu que parce que vous avez besoin de moi.

Je posais sur la table mon sac de toile. Craignant une menace, les deux gardes du corps qui m’avaient amené se préparaient à m’immobiliser, mais Alvinia les arrêta d’un geste.

– Vous êtes bien présomptueux, pilote.

Je continuai.

– Je sais quel événement vous a poussé à quitter Munfayl. Vous avez reçu…

Mon interlocutrice, surprise, me fit signe de me taire, et intima d’un geste aux deux butors l’ordre de se retirer.

– A quel jeu jouez-vous, Rapture ? demanda-t-elle en fronçant le sourcil après leur départ.

– Vous avez reçu un rapport secret du L.A.R.A. qu’on vous avait caché. C’est moi qui ai fait fait en sorte qu’on vous le transmette.

– Mais comment… ?

– Peu importe. Mais je n’imaginai pas que mon message dût avoir de telles conséquences. Déserter ! Quand j’ai appris cette nouvelle, j’ai compris que ce rapport vous avait décidée à reprendre toute l’enquête par vous-même. Votre confiance dans le Consilium était ébranlée. Vos préjugés aussi. Désormais, c’est la vérité que vous vouliez découvrir. Nous sommes de nouveau dans le même camp, Alvinia. Et je peux vous aider. Ouvrez ce sac, je vous en prie.

Alvinia retira de mon ballot un artefact ancien. Il s’agissait de feuilles de papier pliées et reliées, couvertes d’un carton coloré. On appelait ces objets des « livres », et on les utilisait autrefois pour conserver et transmettre des informations, comme on fait aujourd’hui avec les disques de données. Celui que tenait le leader de la Horde portait le titre de La Roue noire.

– C’est le seul exemplaire connu de cet ouvrage. On l’a retrouvé dans un conteneur en orbite d’une planète dans le système Leesti. J’ai failli périr pour l’obtenir et vous l’apporter. Il a été composé en 3115 par Robert Holdstock. Seules les quarante-quatre premières pages ont été conservées. Il raconte une légende. L’histoire d’un eldorado nommé Raxxla. On trouvait sur cette planète un portail permettant de franchir les mondes. Des voyageurs, qui se réclamaient d’une société secrète nommée La Roue noire, prétendaient pouvoir la traverser. Ils en revenaient chargés de richesses.

« Voyez-vous Alvinia, il se pourrait bien que Raxxla ne fût pas un simple mythe. Il se pourrait même que les complots qui se trament dans les zones les plus reculées de la Galaxie soient liées de près à ce pays de Cocagne. Il se pourrait enfin que ce livre représente un atout précieux pour qui voudrait retrouver cette planète oubliée. Je n’ai pas les moyens, seul, de me lancer dans cette aventure. Mais vous, vous possédez toutes les ressources nécessaires. Ne vous trompez pas de combat, Madame.

– Nous verrons, trancha le leader de la Horde.

Elle s’empara de l’artefact et quitta le salon d’observation sans ajouter un mot.



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