Crépuscule

Crépuscule – Chapitre 1

Je n’en peux plus.

Je ne veux plus de cette double vie que je mène depuis trop longtemps. Je ne supporte plus tous ces mystères, tous ces secrets trop lourds à porter, toutes ces trahisons.

Le temps des mensonges est terminé.

Je suis Ptoléméus.

Et je vais raconter mon histoire.

 

En hommage respectueux aux créateurs d’Elite : Dangerous, à la Wing Atlantis, aux Black Birds – et au cmdr Aymerix,  celui par qui les aventures arrivent.

 

 

 

Chapitre premier

Le retour

Deciat 6A, 30 mars 3303

L’ingénieure étudia longuement les plans étalés sur la table de travail. A la règle et au compas, elle dessina de méticuleux schémas, et porta en marge plusieurs cotes, au crayon. Elle travaillait à l’ancienne. Ses longs doigts couraient sur le papier avec la dextérité et la patience exacte d’une dentellière maniant ses fuseaux. Son ouvrage, c’était du cousu main.

Quelques pâles rayons du lointain soleil de Deciat traversaient les verrières de son atelier, accentuant les traits anguleux d’un visage taillé à la serpe. Ses yeux creusés de cernes et ses joues émaciées portaient les marques du temps et des épreuves. La vieille bricoleuse avait dû en baver, à l’époque où elle roulait sa bosse dans les zones les plus inaccessibles de la galaxie. Quels météores inouïs avaient bien pu passer devant son étrange regard gris ? Quels mystères avait-elle bien pu découvrir lorsqu’elle longea, la première, le Formidine Rift ? Pourquoi s’était-elle prématurément retirée sur cette planète perdue? Nul ne le saurait jamais sans doute. Elle n’avait cessé d’avoir la bougeotte, et voilà que soudain, elle s’était immobilisée à tout jamais sur cette base inhospitalière, à côté des installations minières de son père. Au moins l’absence d’atmosphère la préservait-elle du vacarme insupportable des appareils de forage.

N’empêche. Tous les voyageurs se bousculaient en foule chez cette sorcière aux tempes presque blanches. Elle était douée, vraiment douée. Dès qu’elle avait dévissé le capot d’un vaisseau spatial, les moteurs se mettaient à ronronner docilement comme des chats. Où avait-elle appris les arcanes obscures de la physique d’Alcubierre et des sauts hyperspatiaux ? Personne ne le savait. Et que nous importait ? Nous lui donnions quelques bobines magnétiques de récupération, un peu d’arsenic glané au hasard sur une planète lointaine, et elle transformait nos vaisseaux brinquebalants en somptueux navires sillonnant la Voie lactée aussi rapidement que s’ils avaient emprunté d’improbables trous de ver.

Tout le monde l’appelait la Vieille. Je crois que nous avions quelque crainte de prononcer son nom. Elle s’appelait en réalité Felicity Farseer, héritière des industries Farseer, jadis exploratrice fameuse. Désormais rangée des vaisseaux, elle mettait son talent d’ingénieur au service des voyageurs au long cours.

 

 

J’étais anxieux. Depuis quelque temps, mon Asp chauffait. Mes décollages devenaient délicats, et je peinais à fuir les pirates qu’il m’arrivait de croiser dans les parages de la bulle humaine. Je comptais sur ses compétences pour trouver une solution. Etant donné les activités qui étaient les miennes, il fallait que je puisse compter sur mon appareil.

Felicity finit par poser son crayon dans un pot arborant un aigle. Elle tenait à ce mug ébréché : la Fédération des Pilotes le lui avait offert lorsque, après avoir participé à une expédition à Beagle Point, elle avait reçu le rang prestigieux d’Elite. Elle s’assit dans un vénérable fauteuil de cuir qui dut appartenir à son père, et jeta sur moi un regard vitreux et hypnotique ; j’eus alors l’impression qu’elle sondait le fond de mon âme. Quel traitement cette rebouteuse allait-elle proposer à mon vaisseau ?

– Les propulseurs ne sont pas ma spécialité, Commander Ptolemeus, mais je crois que nous allons pouvoir faire quelque chose pour vous. M’avez-vous apporté les ingrédients dont je vous ai parlé ?

J’avais pris soin d’apporter quelques bobines, un peu d’étain, quelques données recueillies par mes senseurs dans l’espace profond.

– Ils sont à votre disposition dans la cabine de l’Almageste, Madame.

Allait-elle faire fondre cette ferraille dans les gigantesques hauts-fourneaux rougeoyants qu’on distinguait à travers la grande baie vitrée ? Allait-elle prononcer quelque incantation au-dessus de ces monstrueux athanors ? Mon leader, jadis, m’avait dit en plaisantant qu’on pouvait obtenir ce qu’on voulait de la magicienne, pour peu qu’on la caresse doucement derrière l’oreille gauche. Mais ce souvenir ne parvint pas à me détendre. La Vieille me tétanisait. J’en avais vu pourtant de toutes les couleurs, partout dans la galaxie, des Anciens Mondes jusqu’à Colonia.

Je m’apprêtais à prendre congé et à rejoindre ses techniciens pour surveiller leur travail, mais Felicity me retint.

– Cela fait longtemps que vous n’étiez pas passé me voir. Vous venez de rentrer, je crois ?

Je revenais d’une expédition qui m’avait mené très loin, et s’était révélée bien plus dangereuse que je n’avais cru. Ce fut un voyage aux enfers. J’avais choisi un itinéraire long et discret pour mon retour dans la bulle humaine, afin d’éviter les mauvaises rencontres, et Deciat était ma première escale.

 

 

– Votre vaisseau a plutôt l’air de sortir d’une zone de guerre que d’un périple dans les nébuleuses. Mes équipes peuvent remettre en état vos modules et votre coque, si vous le souhaitez.

– Je suis un peu… gêné en ce moment. Je me débrouillerai.

Je n’avais pas le génie du bricolage de la Sorcière de Deciat, mais je pouvais m’arranger pour les réparations courantes. En attendant du moins que se rétablisse ma situation financière, qui n’était pas florissante. L’entretien de l’Almageste allait finir de me ruiner.

– Si ce sont les crédits qui vous embarrassent, nous pouvons trouver un arrangement. N’auriez-vous pas quelques données d’exploration à me remettre ? Je suis toujours intéressée par ce qui se passe du côté du Rift.

Je sursautai. Ma longue visite des systèmes aux alentours du Formidine Rift était secrète. J’avais juré à mon commanditaire de garder un silence absolu sur le but de ma mission.

Felicity éclata de rire.

– Non, je ne suis pas une devineresse, Commander. Mais j’ai reconnu sur votre fuselage certaines traces… Je vis en recluse, mais j’ai toujours de bons yeux. Le Rift suscite tellement d’excitation depuis quelque temps… Toutes ces bêtises sur les Enfants de Raxxla… Bien des aventuriers se risquent dans ces zones obscures, mais tous reviennent pas, à ce qu’on raconte… certains auraient été victimes du haut mal de l’espace.

Je ne répondis rien. Je connaissais trop bien la folie qui menace les explorateurs égarés. Il me sembla que Felicity esquissait une sorte de curieux sourire.

– N’en parlons plus, Commander. Je ne vous demande pas de me dévoiler tous vos petits secrets.

Elle continuait à me fixer, en tapotant sa table du bout de ses doigts effilés. Visiblement, elle me testait. Que voulait-elle ? Il fallait que je prenne garde. J’attendis qu’elle reprenne l’initiative.

– Vous êtes toujours en lien avec les Black Birds ? », lança-t-elle soudain.

Une boule se forma aussitôt au fond de ma gorge. La faction des Oiseaux Noirs… Une bande de mercenaires sans scrupules habitués aux opérations coups de poing. Ils ne faisaient pas dans la finesse. Ils avaient pris le contrôle de quelques systèmes aux confins de la Fédération et de l’Empire, du côté de Munfayl. Felicity ne se trompait pas, je les avais bien connus. Trop bien. Et je ne savais rien de ce qui s’était passé chez eux depuis mon départ.

Farseer m’avait appâté comme un ver de mer d’Hécate. J’aurais dû m’en aller. J’aurais dû quitter son bureau, reprendre mon zinc sur le pad, et m’envoler loin de l’antre de cette créature du diable. Mais je restais.  Quel sort maudit était en train de me jeter la Vieille ?

– Il y a pas mal de grabuge là-bas… » continua-t-elle d’une voix lente et posée. « Votre leader a pris le large sans crier gare. »

Je me tendais comme un des ressorts de mon vaisseau. Comment avait-elle pu deviner ? Elle bluffait, c’était certain. Je mentis.

– Je n’ai rien à voir avec eux.

– La disparition de la porte-parole de Messalina vous est donc également indifférente ?

Cette fois, je ne pus réprimer un mouvement de surprise. Le vague sourire de Felicity se crispa en rictus.

– On dit qu’elle rassemble des partisans. Elle réunit une flotte quelque part dans le cosmos… A la recherche d’on ne sait quoi… Certains prétendent que son enlèvement ne lui a pas seulement coûté les yeux : ses chimères ont aussi fini par lui tourner la tête.

Farseer jouait avec moi comme un épagneul de Momus avec un lapin de Ceti. Je me sentais furieux et impuissant. Je serrais instinctivement le sac de toile dont je ne me séparais jamais. Une seule raison pouvait avoir poussé Alvinia à abandonner titres, honneurs et prestige pour monter cette expédition. Quels tire-laine, quels brigands de tout poil, quels écumeurs d’astéroïdes avait-elle pu convaincre de se joindre à elle ? … Rapture I était-il des leurs ?

Je me levai et jetai mon ballot sur mon épaule. Il fallait que je remette cette besace à Alvinia. J’étais bouleversé. Il fallait que je la retrouve. J’avais juré que jamais, jamais plus je ne la reverrais, ni aucun des Oiseaux noirs de Munfayl… mais s’il était vrai qu’elle avait quitté les Black Birds…  Je ne pouvais rester plus longtemps sur Deciat.

– Quand L’Almageste sera-t-il prêt ?

Farseer, toujours assise, le visage illuminé par les rayons ocres du couchant, rayonnait devant moi d’une joie cruelle.

 

A suivre

 


un commentaire

  1. 30 avril 3303 à 18 h 44 min

    Ma-gni-fique continue comme sa c est génial

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