Un nouveau départ

Alvinia de Messalina n’avait pas quitté son costume de cérémonie. Elle avait sauté dans son Cobra, entouré de sa garde rapprochée qui lui était restée fidèle, dès la fin de son dernier discours officiel. Elle affichait depuis son départ un visage fermé ne montrant rien du trouble qui parcourrait son esprit. Alvinia était écartelée entre un serment qu’elle avait rompu, les sentiments qu’elle portait à ceux qui avaient partagé ses deux dernières années et la vision qui la guidait loin de ce qu’elle connaissait.

Avant d’effectuer le saut, elle salua la planète More dont la blancheur majestueuse semblait marquée de tristesse. Elle allait lui manquer, beaucoup de choses allaient lui manquer. Samson quitta son champ visuel pour la dernière fois, elle enclencha alors le chargement du moteur FSD pour rejoindre sa destination, sa nouvelle vie.

Le cobra arriva dans le système où l’attendait, depuis plusieurs jours déjà, la flotte nomade qui était son nouveau foyer. Les vaisseaux de transports et de combat étaient stationnés à proximité d’une station perdue, au milieu d’un minuscule système où l’on ne les trouverait pas. Quand bien même, dès qu’on serait sur leurs traces, ils seraient déjà partis. Il ne fallait cependant pas traîner, car les choses évoluaient très rapidement et, si Alvinia avait vu juste, ils avaient peu de temps. Mais par dessus tout, elle craignait surtout que les hommes et femmes du Consilium se mettent à leur recherche, ce qui était une quasi-certitude. Elle ne leur avait pas tout dit. Elle les avait trompés. Mais comment faire autrement ? Elle allait avoir besoin de ressources financières et techniques pour ce qui les attendait. En plus du reste, elle était donc devenue une voleuse.

Le cobra pénétra dans la station presque vide, après avoir reçu l’autorisation du contrôleur spatial. Le contrôleur donnait l’impression d’avoir été sorti de son sommeil. Pourtant, lui, comme les dirigeants de la station, avaient reçu d’importants pots-de-vin pour fermer les yeux sur les événements qui se passaient dans leur système. Ils avaient maquillé les registres en réduisant drastiquement le nombre de vaisseaux transitant dans le système. Effacer les traces coûtait cher, très cher, mais ils n’avaient plus le choix maintenant. Alvinia posa le Cobra sur un PAD dont la structure craquait et grinçait, la station était dans un état pitoyable.

Après avoir terminé les procédures de fin de vol, elle releva la tête et aperçu, sur la coursive de la tour de contrôle, celui qui l’attendait depuis que l’opération avait été lancée. Il avait changé de coupe de cheveux et portait des vêtements civils, une combinaison de travail usée et sale. Jamais elle n’aurait imaginé qu’il l’aurait suivi dans cette aventure, mais au fond d’elle, elle se sentait rassurée. Ses capacités seraient utiles pour le projet, indispensables, même. Elle s’empressa donc de quitter le vaisseau, invitant sa garde rapprochée à rejoindre le hangar qu’ils avaient loué pour y établir un quartier général temporaire. Malgré les risques, il faudrait encore patienter quelques jours avant de pouvoir partir. Les choses n’étaient pas encore prêtes.

La coursive pour rejoindre son contact était aussi crasseuse et branlante que le reste de la station. Elle offrait un spectacle désolant. Arrivé au sommet de la tour, Alvinia tourna la tête pour regarder au travers des vitres crasseuses le PAD se trouvant en contre bas. En cet instant elle se crut retournée plusieurs années en arrière, tenant le comptoir du quai numéro 1*.

Arrivée devant l’homme qui l’attendait, elle prit quelques minutes pour le dévisager. Le superviseur semblait fatigué. Ses yeux étaient vitreux, bien loin de ce regard décidé qu’il affichait habituellement. L’opération avait été mise en place de manière précipitée et il n’avait pas dû beaucoup dormir pour pouvoir superviser les préparatifs.

-« La flotte est-elle arrivée ? » lui demanda t-elle

-« Oui, Madame. Elle est là, pratiquement au complet. Nous avons terminé un bon tiers du chargement et des préparatifs. » Sa voix était posée, un peu plus lente. Les yeux cybernétiques d’Alvinia perçurent un pouls plus rapide qu’il ne devrait être. Il ne mentait pas, mais il était incontestablement stressé.

Le pilote lui tendit un manifeste sur lequel figurait la liste des vaisseaux, du matériel et le nom de ceux qui allaient les suivre. Avant même qu’elle parle, il souligna :

-« Je suis désolé, ils sont bien moins nombreux que nous aurions pu le penser. »

Il était bien plus fatigué qu’elle le pensait. Elle n’avait pas l’habitude de le voir si pessimiste.

-« N’ayez crainte. C’est largement suffisant pour commencer ». Le rassura-t-elle. « Emmenez-moi la voir, je vous prie ».

Il la guida alors au travers d’un dédale de couloirs et salles vides pour rejoindre le service de transport inter-station. Après une quinzaine de minutes, ils se trouvaient devant l’immense baie vitrée donnant sur la flotte nomade, stationnée en ordre. Cette flotte comptait plusieurs vaisseaux de transports, un vaisseau faisant office de frégate médicale et scientifique, des vaisseaux d’escorte et de combats de toutes tailles ainsi divers autres vaisseaux pour le ravitaillement et les réparations. Au milieu, trônait le navire amiral, un anaconda d’où entraient et sortaient des drones de ravitaillement qui offraient un ballet majestueux et parfaitement ordonné. Sur la coque de l’anaconda s’affairaient des drones de réparation ouvrant pour graver le nouveau nom du navire. Lui aussi allait avoir une nouvelle identité, une nouvelle vie. Il serait maintenant connu par la horde sous le nom de « orichalque », Alvinia y voyait une bonne augure.

-« Voici votre nouveau foyer, Madame. J’espère que ça valait le coup ».

Son ton défaitiste l’agaça, mais elle reteint ses coups, il avait fait bien plus que ce qu’elle n’avait espéré.

-« Allez vous reposer quelques heures. Je prends le relais. »

-« Comme vous voulez, je vous laisse ». Avant de la quitter, il plongea la main dans sa combinaison pour y prendre un objet de petite taille, empaqueté, qu’il lui tendit. « On m’a remis ça à votre attention. Ne me demandez pas de qui ça vient, le coursier a décollé avant que je puisse lui poser la moindre question ».

Elle prit l’objet. Il était léger et rigide.

-« N’ayez pas de craintes, je l’ai fait passer aux senseurs, il n’y a pas de danger », affirma-t-il avant de tourner les talons et s’éloigner sans un mot de plus, fourrant les mains dans ses poches.

Alvinia regarda le pilote s’éloigner. Malgré la fatigue, il gardait la démarche qu’elle lui connaissait. D’ici quelques heures il serait à nouveau lui-même, elle n’en doutait aucunement.

Elle regarda à nouveau au dehors. Devant elle, se formait la flotte nomade qu’elle avait appelée « la wing Atlantis ». Quelle folie. Pourtant, il ne fallait pas douter. Elle allait devenir leur guide et devrait rester inflexible, inébranlable. D’ici quelques jours ils allaient pouvoir partir pour un voyage qui serait peut-être sans fin.

Finalement, elle quitta les vaisseaux des yeux et regarda l’objet qu’on lui avait remis. Il n’y avait aucune marque, aucun nom. L’emballage était vierge et avait été fait très soigneusement. Elle le déchira pourtant sans ménagement afin de voir que objet il contenait. Et quand elle le vit, elle ne pût retenir un cri de surprise.

Vous pouvez lire et télécharger cet article au format PDF pour un meilleur confort de lecture. Toute reproduction ou diffusion interdite.

[dkpdf-button]

*Certains passages ou événements font référence à la biographie de Alvinia de Messalina.