CHIONÉ, LA FÉE ELECTRICITÉ
03 novembre 3304,
Lieu secret
L’ingénieure avait les yeux cernés, le teint pâle, les joues maculées de graisses et sentait la transpiration. Mais elle n’était pas la seule à bord dans la station. Le système de gestion hydraulique de l’outpost n’était pas encore opérationnel et les occupants se contentaient de survivre avec les réserves d’eau apportées lors de leur arrivée. Alivina rêvait d’une douche bouillante autant que d’un repas chaud au lieu de ces cartouches alimentaires MediCorp, certes riches en protéines et minéraux, mais dont le goût laissait dans la bouche une impression de plâtre humide pendant des heures. Malgré le manque de sommeil, la faible luminosité, l’inconfort des lieux, personne ne se plaignait. Tout le monde œuvrait au mieux pour remettre sur pieds les systèmes vitaux du vieil outpost qu’ils occupaient depuis une semaine.
-« Le noyau central va reprendre peu à peu sa pleine puissance et nous fournir l’énergie nécessaire. Dans quelques heures nous pourrons débrancher les batteries et les câbles des vaisseaux pour être autonomes en électricité. »
Après la remise en fonction de la centrale de traitement de CO² qui les avait libérés des entraves de leurs masques, cette nouvelle avancée vers la civilisation fit sourire Alvinia. L’ingénieure elec avait bien travaillé et avait ouvert une porte vers de nouveaux horizons. Grâce à cette avancée, les travaux pourraient avancer plus vite : l’outpost reprendrait vie, se réchaufferait au-delà des 8°C qui les glaçaient jusqu’à l’os, et leur permettrait de profiter d’un peu plus de confort. Mais cette fée électricité allait surtout permettre de démarrer l’installation du premier Laboratoire, pierre angulaire de tout le projet. Déjanire daignerait peut-être alors, enfin, les rejoindre pour pousser ses travaux au-delà des limites du possible. Le temps pressait avant le départ pour la grande expédition et il ne fallait pas rater cette fenêtre de tir ! L’emplacement du grand Laboratoire avait déjà été réservé dans un vieux hangar traversant l’outpost de part en part. Ce dernier avait été vidé de son contenu et nombre de cloisons avaient déjà été découpées puis abattues. Chaque issue avait été aménagée avec un triple système de sas et les gaines de traitement d’air avaient été modifiées pour qu’une fois en fonction, la totalité du complexe de recherche soit en sous-pression. L’ancien outpost industriel, n’avait pas été pensé pour de telles installations et les modifications à faire étaient titanesques. On y fabriquait, du temps de son exploitation, du matériel à destination des explorateurs dont beaucoup avaient établi leur point de chute alentour.
Alvinia regarda l’ingénieure et la félicita chaleureusement.
-« C’est un excellent travail que vous avez fait là, Chioné. »
-« Merci, Madame, c’est un plaisir de pouvoir vous servir ? »
-« Je n’en doute pas une seconde. Maintenant, promettez-moi une chose : allez dormir et ne vous levez que quand je vous en donnerais l’ordre, voulez-vous ? »
-« Je voudrais bien, Madame, mais si vous le permettez, j’aimerais superviser la montée en puissance du noyau jusqu’à sa stabilisation complète. »
-Je vois. Je vous félicite pour votre courage et engagement. »
-« De rien Madame. »
Sur ces paroles, sans attendre une seconde de plus, la farouche Chioné tourna les talons et quitta la pièce qui servait de centre de contrôle temporaire pour l’outpost. Elle disparut à l’angle de la coursive et se dirigea vers les étages inférieurs.
Alvinia ferma les yeux et repensa à sa sortie matinale à la surface de la planète à contempler le lent ballet des anneaux. Elle avait réussi à capter un message ayant traversé le vide de l’espace et avait apporté une réponse sans savoir si cette dernière était parvenue à son destinataire. Tout était compliqué ici. Il n’y avait rien. Pourtant elle aimait cet endroit humble et reculé. Par certains côtés il lui rappelait les longs séjours dans les abris souterrains, entassés les uns contre les autres, à attendre que la fureur des tempêtes ne s’apaise…..