Crépuscule

Crépuscule – Chapitre 2

Je n’en peux plus.

Je ne veux plus de cette double vie que je mène depuis trop longtemps. Je ne supporte plus tous ces mystères, tous ces secrets trop lourds à porter, toutes ces trahisons.

Le temps des mensonges est terminé.

Je suis Ptoléméus.

Et je vais raconter mon histoire.

 

En hommage respectueux aux créateurs d’Elite : Dangerous, à la Wing Atlantis, aux Black Birds – et au cmdr Aymerix,  celui par qui les aventures arrivent.

 

 

Chapitre 2

Le chaos

 

Munfayl
2 avril 3303

Après quelques bonds d’étoile en étoile, le réacteur à distorsion me tira d’un coup sec du tunnel de l’hyperespace. La décélération brutale me coupa le souffle, et m’infligea quelques g que j’encaissais comme je pus. Décidément, je ne me ferais jamais à ce jeu de saute-moutons intersidéral.

Devant le cockpit, la forme immense d’un soleil occupait tout l’espace : c’était l’étoile Munfayl, que les astronomes recensaient sous le numéro 669 dans le catalogue Hipparcos. On pouvait, paraît-il, la deviner depuis la Terre, sous une magnitude timide. Je n’aurais pu le confirmer, je ne m’étais jamais aventuré sur Sol. Mais de là où je me trouvais, à quelques secondes lumière à peine de sa photosphère, son éclat m’aveuglait. Sa surface était parcourue de tourbillons de flammes blanches. De ce lac de soufre émergeaient sans prévenir, de temps à autre, les gerbes brûlantes d’un gaz jaune orangé, comme autant de feux de Bengale infernaux.

Je mis le cap vers la balise de navigation qui marquait l’entrée dans le système stellaire. L’endroit n’avait jamais été très sûr, mais ce jour-là, il était en proie à un titanesque chaos. Tous les malandrins qui écumaient de ce côté de la galaxie s’y étaient donné rendez-vous pour régler de vieux comptes. Ils avaient transformé la zone en un far-west sanglant. Fers-de-lance, anacondas, et même quelques monstrueuses corvettes s’y affrontaient avec l’arrogance de coqs de combat lâchés dans l’arène, tous ergots dehors. Les vaisseaux tournoyaient en tous sens, échangeant des rayons lasers multicolores qui déchiraient l’obscurité de la nuit spatiale. Des explosions formidables illuminaient le ciel. Ce n’était partout qu’une débauche mortelle de torpilles, de canons et de plasma dévastateur.

C’était une drôle d’idée de me fourrer dans un tel guêpier. Mais le risque était calculé. J’avais eu vent de ce conflit aux enjeux incertains, et je comptais bien profiter de la pagaille engendrée par cette bagarre absurde pour me faufiler jusqu’à ma destination. Mon commanditaire aurait été furieux d’apprendre que je traînais dans ce coupe-gorge avant de lui avoir transmis les informations qu’il attendait. Mais tant pis. Je n’avais pas le choix.

 

J’évitai par miracle les innombrables bâtiments de guerre, chasseurs et intercepteurs qui sillonnaient l’espace, et j’arrivai en vue de Samson, station Coriolis trapue et solide comme le héros juif dont elle tirait le nom. Elle orbitait autour d’une triste planète blanche, à l’atmosphère aussi irrespirable que son nom était porteur d’espoir et de rêve : More. Hélas, malgré la propagande efficace diffusée par le gouvernement, le régime en place n’avait pourtant rien d’utopique. Le Consilium dirigeait Munfayl d’une main de fer, et étendait désormais son influence sur une vingtaine d’autres systèmes. La dictature, bien organisée, prétendait défendre l’humanité contre une hypothétique résurgence de la menace alien. La réalité était moins noble. A force de coups militaires, d’opérations de subversion ou d’élections truquées, les leaders des Black Birds étaient en train de se tailler un empire conséquent dans tout le  secteur, au détriment des factions voisines.

Je demandai l’appontage avec anxiété. Malgré les précautions que j’avais prises, je craignais que la station ne m’accueillît avec quelques salves des batteries lasers qui servaient à sa défense. Mon Asp eût été aussitôt réduit en miettes. Je retins mon souffle quelques secondes, puis j’entendis une voix résonner dans mon communicateur : on m’accordait mon autorisation d’approche. La voix chaleureuse du technicien me souhaita la bienvenue et me donna mes instructions. Se pouvait-il que tout fût si facile ? J’exécutai machinalement les manœuvres de routine. J’entamai le dernier kilomètre. Je stabilisais ma vitesse. Encore cinq cents  mètres avant de pénétrer dans la capitale des Black Birds.

Au moment précis où j’alignai mon vaisseau face à l’entrée rectangulaire de la base, que les pilotes appellent boîte aux lettres, l’alarme retentit dans ma cabine : la patrouille des forces de sécurité venait de lancer un scan sur mon navire. J’avais passé en contrebande trop de substances illicites pour ignorer la durée de la procédure : exactement dix secondes. Je les égrenais une à une. Un, deux, trois, quatre. Je serrais un peu plus fort la manette des gaz, persuadé toutefois que je n’aurais pas le temps de fuir si j’étais découvert. Cinq, six, sept. « Ce coup-ci, ça passe ou ça casse », sifflé-je entre les dents. Huit, neuf, dix. Ma radio fit entendre la voix nasillarde du chef d’escadrille. « C’est bon pour cette fois, pilote, circulez ! ». Les Vipers des flics s’éloignèrent à toute allure pour inspecter le navire d’un autre voyageur. Ils n’avaient rien détecté à mon bord.

Soulagé et incrédule, je glissai mon appareil dans l’ouverture. Une fois à l’intérieur, je donnais quelques impulsions aux propulseurs verticaux, je sortis le train et je posai l’Asp sur le pad qu’on m’avait assigné. Je coupai les moteurs. Puis enfin, longuement, je respirais.

J’étais de retour. Et personne ne m’avait repéré.



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